les Japonais raffolent des nouveautés technologiques.
Ucroa est une jolie brune au visage fin. Elle mesure 1,58 m et pèse 43 kg. La taille mannequin idéale pour une Japonaise. Elle vient d'ailleurs de faire ses premiers pas de top-modèle sous l'œil des caméras du monde entier. En combinaison de métal, sa démarche est parfois hésitante. Mais elle lui confère un charme que n'ont pas les grandes vedettes des défilés de mode. Le National Institute of Advanced Industrial Science and Technology (AIST) avait failli l'affubler de la minijupe plissée et des hautes chaussettes d'une lycéenne, avant de se raviser, l'idée étant jugée du plus mauvais goût. Il lui prédit désormais un avenir de reine des podiums.
» Le robot-mannequin Ucroa lors de sa présentation au Japon :
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Nettement moins glamour, Saya, professeur à l'essai en blouse jaune, coiffée à la Jeanne d'Arc, a commencé à donner, de son côté, ses premiers cours à des élèves d'une école primaire de Tokyo. Ces derniers l'ont immédiatement plébiscitée. Ils la trouvent non seulement très sympathique, mais tous veulent toucher son masque en latex derrière lequel 18 petits moteurs sont dissimulés.
Car Ucroa et Saya sont des robots. Elles illustrent la toute dernière génération des «plates-formes humanoïdes de recherche» conçues par l'AIST. Un institut que l'on connaît bien à Paris, puisqu'il dispose d'un laboratoire commun avec le Centre national français de la recherche scientifique (CNRS) : le Joint Japanese-French Robotics Laboratory, que codirige Abderrahmane Kheddar dans l'université de Tsukuba.
Les Japonais aiment Goldorak, les mangas, les androïdes de tout poil et les gadgets en général. Le week-end, les jeunes comme les quinquagénaires, seuls ou en couple, font la queue dans le quartier d'Akihabara, le temple de l'électronique à Tokyo, pour acheter à prix d'or les figurines miniaturisées de leurs héros préférés.
Caméras intelligentes
Le gouvernement, qui a investi plus de 27 millions d'euros dans la recherche publique sur les robots, veut qu'ils entrent dans tous les foyers en 2015. Pour le moment, ils sont encore des objets de divertissement. Mais demain, ils feront fonction d'aide ménagère ou d'assistant pour les personnes âgées. Personne ne s'en inquiète, au contraire. «Au Japon, où l'on vous nettoie gratuitement vos lunettes chez l'opticien même si vous n'achetez rien, la notion de service est totalement banalisée, relève Chiyoko, qui enseigne à Tsukuba. Du coup, tout ce qui est nouveau est immédiatement adopté pour peu que cela semble utile.» Et pas forcément les innovations les plus révolutionnaires.
Au bar de l'hôtel Dai-ichi, un mercredi matin, trois hommes sont ainsi penchés sur un prototype de gants de cycliste extra-souples, dont le pouce et l'index sont munis de diodes qui permettent d'écrire, d'éclairer une clé de contact ou de prendre quelque chose dans le noir. La veille, au même endroit, un cadre montrait fièrement à un collègue un objet métallique en forme de lance-pierres, dont les branches munies de petites roulettes servaient à se masser le cou. Et de le tester devant tout le monde sans aucune crainte du ridicule…
L'idée ne paraissait guère plus sérieuse lorsque, l'an dernier, un petit groupe de chercheurs travaillant pour NTT IT, une filiale de Nippon Telegraph and Telephone, lançait le tenoripop, un système de petites images tombées du ciel au creux des mains. En réalité, une caméra que l'on peut fixer au plafond de n'importe quel espace public, les diffuse dès qu'on oriente les paumes vers le haut. Elle repère automatiquement le promeneur qui s'arrête. Deux images, un personnage ou un objet, sont aussitôt projetées sur ses mains et, s'il les rapproche, une troisième, différente des deux précédentes, se crée. L'invention fait aujourd'hui fureur comme vecteur publicitaire dans certains grands magasins. Tout comme les écrans vidéo qui, dans les lieux publics, choisissent leurs spots en fonction du nombre de personnes placées devant eux.
Verrouiller des niches
Le marketing n'est pas le seul moteur de l'innovation japonaise. Le centre d'exposition de Panasonic, sur l'île artificielle d'Odaiba, dans la baie de Tokyo, préfigure ce que pourrait être l'Archipel de demain. Une «société de la communication en phase avec l'environnement», proclame le groupe. Un monde où tous les objets seront interconnectés. Un monde où la domotique régnera en maître et où les tâches ingrates n'auront plus cours.
Depuis plus d'un an, 3 000 familles japonaises testent à domicile des batteries à combustible pour réduire les émissions de gaz carbonique. Un marché estimé à 550 000 unités par an. Toshiba, Mitsubishi, Toyota sont associés au programme et cherchent à faire baisser les prix trop élevés des installations. Si tout se passe bien, ils devraient tomber de 15 000 euros aujourd'hui à 3 200 euros en 2015.
«Dans l'énergie solaire, dans l'électronique, dans les technologies avancées, le Japon n'a peut-être pas le savoir-faire de certains grands groupes occidentaux, mais il sait très bien faire les petites choses que les autres n'ont pas. Il verrouille des niches où il sait s'imposer comme le numéro un mondial. Et, surtout, c'est le seul pays dans le monde qui a une stratégie à dix ans», affirme un homme d'affaires français installé à Tokyo depuis plusieurs années. «L'innovation, les Japonais savent ce que c'est. C'est en innovant et en ayant une longueur d'avance dans la technologie que le pays s'est redressé après la guerre. Il va le refaire», rappelle-t-il.
Un Japon qui n'a pas fini de surprendre. Si Ucroa et Saya sont en train de devenir les nouvelles coqueluches de l'Archipel, à l'inverse, les jeunes Japonaises sont de plus en plus nombreuses à porter le kimono traditionnel dans les rues de la capitale. Certains couples branchés mettent un point d'honneur à revivre à l'ancienne, mangeant sur une table basse assis par terre, dormant sur un futon. Et dans le métro entièrement automatisé de Tokyo, il existe, paraît-il, des stations où, quand le voyageur appuie sur un bouton parce qu'il rencontre un problème de billet ou de monnaie, c'est la tête d'un employé bien vivant qui apparaît à travers le distributeur.
Par Le Figaro