La police perquisitionne le domicile de l’écrivain Mehdi El Djezaïri Poutakhine, le roman qui fait trembler la « République des barbouzes
Triste
mésaventure que celle que vient de vivre l’écrivain Mehdi El Djezaïri,
auteur du sulfureux roman Poutakhine. Journal presque intime d’un
naufragé, paru récemment à compte d’auteur. « Neuf policiers ont
débarqué chez moi ce vendredi et ont perquisitionné ma maison de fond
en comble. Ils
avaient pour ordre de saisir mon roman. Ils ont fouillé partout. Ils
ont défait mon lit, cherché dans le jardin, même les toilettes et la
salle de bains ont été passées au crible » raconte l’écrivain que nous
avons joint hier par téléphone, et qui se trouve actuellement à Paris.
Et de poursuivre le récit du calvaire vécu par les siens : « Ils ont
embarqué mon fils au commissariat central. Ils ne l’ont relâché que
vers 23h. Pourtant, il n’a rien à voir dans cette affaire. » Et
d’ajouter : « Ils ont saisi l’ordinateur de mon fils ainsi qu’un
certain nombre de périphériques et de clés USB. Ils ont tout pris. »
Mehdi El Djezaïri s’étonne par-dessus tout par le fait que son livre
soit au centre d’une telle campagne d’acharnement alors
qu’officiellement, il ne fait l’objet d’aucune interdiction
judiciaire : « Les policiers avaient un mandat de perquisition mais ils
n’avaient aucune décision de justice qui interdise mon livre. » En
effet, Poutakhine a été édité et diffusé dans des conditions légales.
D’ailleurs, le roman est dûment conforme à la procédure du dépôt légal
(sous le numéro 1735-2009) et de l’ISBN (numéro 978-9947-0-2601-4).
« J’ai déposé le livre à la Bibliothèque nationale conformément à la
loi et je n’ai encouru aucun refus. Par ailleurs, le livre se vend en
librairie et il s’est arraché comme des petits pains », explique le
romancier qui nous apprend, au passage, que Poutakhine a été tiré à
5000 exemplaires. « Pour le moment, 1000 ont été distribués et la
police traque le reste. Il y a quinze jours de cela, les policiers
avaient fait une descente au niveau de l’imprimerie pour saisir le
livre », affirme-t-il.
Soulignons que le personnage qui écrit sous le pseudonyme de Mehdi
El Djezaïri est un éminent spécialiste des sondages d’opinion bien
connu des hautes sphères. Il avait tenté, il y a peu de lancer un
journal, mais là aussi, le DRS a sorti ses griffes pour lui signifier
un niet catégorique. « Pourquoi serais-je devenu un ennemi public alors
que ce que je raconte est régulièrement rapporté par la presse ? »,
s’interroge-t-il. L’auteur subodore que cette hystérie liberticide est
certainement en rapport avec cette fiction qui n’en est pas tout à fait
une dans la mesure où elle dépeint avec un réalisme troublant une
situation sociale pour le moins chaotique dont l’auteur n’hésite pas à
désigner les responsables. De fait, la trame du roman se noue autour
des péripéties d’un harrag pas comme les autres, un neurologue surnommé
Poutakhine, qui se trouve contraint de sauter dans une embarcation de
fortune pour fuir un pays devenu anthropophage. Et de dérouler une
galerie de destins dérivant vers leur perte par la faute de dirigeants
infâmes. Ainsi, le propos politique du roman et sa prose caustique
seraient vraisemblablement les « mobiles » de cette campagne.
Il faudrait toutefois rappeler que ce n’est pas nouveau dans les
mœurs de notre « flicaille » qui s’érige ainsi en censeur ès qualité.
Souvenons-nous de l’épisode du livre de Benchicou, Journal d’un homme
libre, qui a été saisi en septembre 2008 à Cette grave atteinte à la
liberté d’expression et de création ne semble pas pour autant
décourager Mehdi El Djezaïri qui est déterminé, assure-t-il, à
poursuivre son œuvre. Il nous apprend d’ailleurs qu’il n’écarte pas
l’idée de mettre son roman en ligne et de le diffuser par Internet. Il
entend également l’éditer en France. « Je suis en contact très avancés
avec un éditeur français », nous a-t-il affirmé. Une entreprise
d’autant plus plausible que le roman se trouve boosté par cette « promo
inespérée » assurée au livre par les soins de nos barbouzes. Par
ailleurs, Mehdi El Djezaïri finalise son second roman intitulé La
Vestale rouge et est sur le point d’entamer un nouvel ouvrage au titre
franchement provocateur : Les Noces de Beni Kalboune. Signalons que
l’auteur avait loué un espace en prévision du prochain Sila, un espace
qu’il est contraint de laisser vide désormais, son livre étant frappé
d’imprimatur de la façon la plus arbitraire. A retenir enfin qu’un
groupe d’auteurs et autres agitateurs littéraires entend envahir les
travées du Salon international du livre d’Alger et organiser une action
de solidarité avec Mehdi El Djezaïri en donnant lecture d’extraits de
Poutakhine et autres textes indésirables pour dénoncer la chape de
censure qui pèse sur les lettres algériennes. Affaire à suivre…
Par Mustapha Benfodil
EL WATAN