Angela Merkel chahutée sur l'Afghanistan
Patrick Saint-Paul, correspondant à Berlin
Le
4 septembre dernier, l'état-major allemand avait ordonné une frappe
aérienne, qui avait fait 140 morts dont au moins 40 civils, au nord de
Kunduz.
Crédits photo : AFP
L'opposition soupçonne l'armée allemande d'avoir outrepassé son mandat en accomplissant un «acte de guerre». Le asse-tête diplomatique et militaire afghan est en train de se muer en
véritable boulet de politique intérieure pour Angela Merkel. L'onde de
choc provoquée par
la bavure de l'état-major de la Bundeswehr
à Kunduzne cesse de s'amplifier. K.-O. après les élections législatives du
27 septembre, l'opposition a repris pied grâce à ce nouvel angle
d'attaque contre la chancelière. Désormais, les députés de l'opposition
au Bundestag, qui ont constitué mercredi une commission d'enquête
parlementaire, remettent en question le bien-fondé de la très
impopulaire mission allemande sur les contreforts de l'Hindu Kuch, au
moment où les États-Unis réclament des renforts à leurs alliés. Le
4 septembre, l'état-major allemand avait ordonné une frappe aérienne
qui a fait 140 morts, dont au moins 40 civils. Officiellement, il
s'agissait de neutraliser deux camions citernes conduits par des
talibans et considérés comme une menace pour les troupes allemandes.
Mais certains documents relatifs aux enquêtes sur la frappe ont été
passés sous silence, une révélation qui avait précipité fin novembre
les démissions du chef d'état-major de l'armée,
le général Wolfgang Schneiderhan,
du secrétaire d'État à la Défense, Peter Wichert, et de l'ex-ministre
de la Défense, Franz Josef Jung, qui venait de prendre le portefeuille
du Travail. Désormais, le successeur de Jung, Karl-Theodor zu
Guttenberg, l'un des dirigeants politiques les plus populaires
d'Allemagne, est
sur la selletteet doit se battre pour conserver son poste. Il a reconnu pour la
première fois au début du mois que ce raid ne se justifiait pas
militairement, après avoir soutenu le contraire pendant des semaines.
La presse allemande prédit des jours difficiles pour Guttenberg, que
l'hebdomadaire
Der Spiegel soupçonne de malhonnêteté. Alors que l'opposition réclame son départ, le ministre a affirmé qu'il ne démissionnerait pas.
L'envoi de renforts dans la balance Selon un rapport de l'Otan, le commandement allemand aurait en réalité
réclamé le bombardement pour éliminer des dirigeants talibans.
Fortement chahuté par le Bundestag, Guttenberg a affirmé que cela ne
constituait pas en soi «une cible illégitime». Mais, pour nombre de
députés de l'opposition, cet «acte de guerre» - le plus meurtrier
ordonné par un officier allemand depuis la Seconde Guerre mondiale -
est contraire à la définition même de la mission en Afghanistan telle
que fixée par le Parlement : le maintien de la paix et la
reconstruction. La commission d'enquête parlementaire réclame
désormais les explications de la chancelière, qu'elle souhaite
convoquer début janvier. Pour l'instant, la chancellerie se contente
d'affirmer que Merkel n'avait été informée que tardivement et
partiellement en raison d'erreurs de communication de l'état-major et
du ministère de la Défense. Cela ne satisfait pas les députés, qui
veulent savoir si Merkel avait donné son feu vert à une opération de
guerre en Afghanistan. Théoriquement, la chancelière n'est pas
tenue de répondre à la convocation des députés. Mais, selon les médias,
elle souhaite envoyer après la conférence internationale de Londres sur
l'Afghanistan environ 2.000 soldats pour renforcer le dispositif
allemand sur place, qui compte quelque 4.400 hommes. Le Bundestag devra
approuver tout envoi de renforts et une éventuelle adaptation du mandat
à la situation réelle. Merkel aura bien du mal à convaincre les députés
si elle se mure dans le silence.
LE FIGARO