Camus tel qu'en lui-mêmeL'écrivain français en 1947, à Paris
Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos
Dans
son dernier livre, le romancier et journaliste José Lenzini tente de
cerner l’état d’esprit de l’écrivain à la fin de sa vie. Entre
introspection et portrait d’une époque.Le 4 janvier
1960, sur la route nationale 5, non loin de Sens (Yonne), la Facel Vega
conduite par l’éditeur Michel Gallimard fait une embardée et percute
un platane. Assis sur le siège passager, l’écrivain Albert Camus, Prix
Nobel de littérature trois ans plus tôt, est tué sur le coup. Il a
46 ans.
Dans
Les Derniers Jours de la vie d’Albert Camus,
l’écrivain et journaliste José Lenzini s’invite à bord de la puissante
cylindrée qui file à vive allure vers Paris. Dans le huis clos de
l’habitacle, quelques conversations et de longs silences. Plutôt que de
rédiger un essai supplémentaire sur Camus, Lenzini a tenté de cerner
l’état d’esprit de l’écrivain. Reconnu mais attaqué, blessé dans sa
chair par la guerre en Algérie, toujours en proie au doute, l’homme
révolté poursuit sa quête et continue, jour après jour, d’écrire pour
cette mère illettrée et muette qui ne peut pas lire ses mots. Entre
introspection et portrait d’une époque, le récit de Lenzini glisse
inexorablement vers la tragédie.
« J’ai travaillé d’abord sur le factuel, confie l’auteur. J’ai par
exemple enquêté sur les programmes radiophoniques de l’époque. Puis
j’ai essayé d’imaginer Camus dans les situations du quotidien et j’ai
ajouté des citations en rapport avec ces situations. Je voulais être le
plus proche possible de la réalité. » Pourquoi, dans ce cas, choisir la
fiction ? « Camus, c’est un mec charnel. Si on l’oublie, on loupe tout.
Et puis, l’essai a un caractère trop sacralisé : j’avais envie de
parler avec mes tripes. » Il n’empêche : Lenzini s’appuie sur de
longues années passées à étudier dans le détail l’œuvre de l’homme né à
Mondovi (Algérie) en 1913 et sur lequel il a déjà rédigé plusieurs
ouvrages.
Cette passion pour l’auteur de
La Chute et de
L’Envers et l’endroitdate des années 1970. À cette époque, Lenzini – qui est né lui aussi en
Algérie – confesse qu’il cherchait un « bouc émissaire » et l’avait
trouvé en la personne de Camus. Pourquoi le célèbre intellectuel
n’avait-il donc pas utilisé sa renommée pour s’élever contre la
guerre ? Nul doute que la relation qu’entretenait Camus avec l’Algérie,
où vivait sa mère, était d’une extrême complexité. Lui-même le
reconnaissait : « J’ai ainsi avec l’Algérie une longue liaison qui sans
doute n’en finira jamais et qui m’empêche d’être tout à fait
clairvoyant à son égard. »
Malgré sa colère contre Camus, Lenzini a découvert qu’il avait tout
faux et s’est laissé séduire. « Je me suis rendu compte qu’il avait
tiré la sonnette d’alarme dès les années 1930. À 19 ans à peine, il
écrit déjà dans
Ikdam [un journal qui défend notamment
l’égalité entre les colons et les Algériens, NDLR]. Ensuite, il n’a
cessé de se battre contre les excès du colonialisme. »
Jeune Afrique