Plus d'un adolescent sur dix souffre d'un début de surdité
Sandrine Cabut
Les baladeurs MP3
accélèrent le vieillissement de l'oreille interne. Or les jeunes
consultent souvent trop tard, lorsque les lésions sont définitives,
déplorent les médecins. Crédit photo : Nexus6
C'est
une urgence médicale trop souvent méconnue. À la sortie d'un concert ou
d'une boîte de nuit, une oreille «bouchée», des bourdonnements ou
encore des vertiges peuvent traduire un traumatisme sonore aigu (TSA)
qui met en danger la fonction auditive. «Beaucoup de ces patients, en
général jeunes, ne consultent pas ou consultent secondairement quand
les lésions sont définitives», regrette le Dr Jean-Michel Klein,
secrétaire général du Syndicat national des médecins spécialisés en
ORL. Pourtant, selon lui, un traitement très précoce par corticoïdes -
après un bilan avec audiogramme - peut limiter la perte de l'audition. Sur
le plan anatomique, cette dernière se traduit par une altération des
cellules ciliées de l'oreille interne. Ces 15 000 cellules, cruciales
pour l'ouïe mais fragiles, peuvent «exploser» sous l'effet de la
pression induite dans la cochlée par une exposition à des niveaux
sonores très élevés. Le seuil douloureux se situe à 120 décibels, mais
des traumatismes sonores aigus apparaissent bien en deçà de ce seuil.
Les baladeurs MP3 mis en cause En
pratique, les symptômes peuvent être réversibles en quelques heures,
mais ces tableaux de «fatigue auditive» devraient déjà être considérés
comme une alerte, insiste Jean-Michel Klein. Dans certains cas, les
cellules ciliées sont irrémédiablement détruites, induisant des
troubles permanents de l'audition, accompagnés ou non d'acouphènes.
Selon une enquête menée il y a quelques années, ces traumatismes
sonores aigus sont loin d'être exceptionnels : ils pourraient concerner
1 400 personnes par an en France. Les musiques amplifiées (concerts,
discothèques…) en sont la première cause, devant les tirs, explosions,
pétards, alarmes et même téléphones portables. Par ailleurs, des bruits
trop intenses peuvent provoquer une perforation du tympan ou une
luxation de la chaîne des osselets par un phénomène d'onde de choc (
voir infographie ci-dessous).
Ces lésions de l'oreille moyenne, classiques lors des explosions dans
les attentats, sont possibles mais exceptionnelles pendant des concerts.
Mais
au-delà de ces accidents aigus, les médecins et les autorités sont
surtout préoccupés par les baladeurs MP3, qui accélèrent le
vieillissement de l'oreille interne. La prochaine journée nationale de
l'audition, le 11 mars , sera d'ailleurs consacrée à ce thème. Selon un
rapport européen, 50 à 100 millions de citoyens de l'Union utilisent
quotidiennement ces appareils numériques, et 10 millions risquent de
devenir sourds à les écouter trop fort et trop souvent. Le niveau
sonore des baladeurs sera bientôt limité par la Commission européenne,
«mais le bridage est sur le casque, il est facile d'en changer», relève
Patrick Arthaud, président du syndicat des audioprothésistes français.
Un profond handicap Ce
professionnel note aussi que les adeptes des MP3 développent une
accoutumance aux fortes intensités sonores (par le biais de
neurotransmetteurs) qui crée une forme de dépendance. «C'est aberrant,
on a réussi à diminuer les surdités d'origine professionnelle en
améliorant la prévention, et on va observer une recrudescence de celles
dues à des expositions de loisirs», continue Patrick Arthaud, qui
insiste sur le profond handicap induit par la surdité dans la vie
familiale, sociale et professionnelle. Les premiers adeptes des
baladeurs (les walkmans des années 1980) sont-ils devenus sourds ?
Difficile de le savoir, en l'absence quasi totale d'études
épidémiologiques sur ce sujet. Les audioprothésistes ont la sensation
d'appareiller des personnes plus jeunes, mais cette évolution pourrait
être due à une meilleure sensibilisation. Une enquête en milieu
scolaire a toutefois montré qu'avant 17 ans, plus d'un adolescent sur
dix souffre d'un début de surdité avec une perte auditive de plus de
20 dB. Ces dernières années, plusieurs campagnes de prévention ont déjà
été menées auprès des jeunes. Des informations et des conseils sont également disponibles sur Internet (
www.ecoute-ton-oreille.com). Mais les messages de santé publique, souvent vécus comme trop moralisateurs, ont du mal à passer.
le figaro