L'Afrique est-elle homophobe ? L'Afrique est-elle homophobe ?
Vincent Fournier pour Jeune Afrique
Près
de quarante pays africains répriment les relations sexuelles entre
personnes de même sexe. Le seul Etat qui protège les homosexuels est
l’Afrique du Sud : ils peuvent se marier, hériter de leur partenaire et
adopter. Pourtant, même pour eux, la vie n’est pas toujours rose.«
Maladie de Blancs », « importation de l’occident », « déviance sexuelle
»… En Afrique, les qualificatifs méprisants ne manquent pas pour
désigner l’homosexualité. Pour autant, le continent est-il si « en
retard » par rapport au reste du monde ? Peut-être pas tant que ça,
quand on sait que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne
considère plus l'homosexualité comme une maladie que depuis... 1992.
Par ailleurs, certaines lois anti-sodomie ont été « importées » par
les anciens colons, en particulier les Britanniques. Ce passif explique
en partie pourquoi près de quarante États du Continent disposent de
législations condamnant l’homosexualité, notamment à travers
l’interdiction de « relations charnelles contre-nature ».
Objet d'autant de tabous que de fantasmes, le thème de
l'homosexualité est souvent instrumentalisé à des fins politiques ou
religieuses... Conséquence : le débat public aboutit en général au
rejet des gays et des lesbiennes. Reste que la situation semble très
contrastée d'un pays à l'autre, comme le montre ce tour d’horizon.
Boucs émissaires Parmi les plus radicaux, les présidents ougandais Yoweri Museveni et
zimbabwéen Robert Mugabe ne manquent jamais une occasion d'exprimer
leur homophobie en public. En 1995, lors de la fête d’indépendance, le
second a notamment déclaré que les gays et les lesbiennes se
comportaient de façon « pire que les chiens et les porcs ».
Dans ces deux pays où l'homosexualité est passible de travaux forcés
ou de prison à vie, homophobie et démagogie vont souvent de pair. Les
militants de la cause gay reprochent aux dirigeants de rendre les
homosexuels responsables des problèmes économiques.
Et en Ouganda, le débat parlementaire sur le
projet de loitrès décrié du député David Bahati, qui recommande la peine de mort
pour les auteurs d’« homosexualité aggravée », pourrait ne pas être
étranger à l’approche de la présidentielle prévue pour 2011.
Raidissements religieux et délationsA l'occasion, certains pays considérés comme plus tolérants
redécouvrent leur arsenal législatif. En janvier 2009, au Sénégal, neuf
hommes ont été condamnés à huit ans de prison pour « acte impudique et
contre nature et association de malfaiteurs ». Les défenseurs des
droits des homosexuels n'ont pas manqué de relever la coïncidence entre
ce raidissement et le fait que le Sénégal assurait la présidence de
l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
En avril 2009, la Cour d'appel a finalement annulé la procédure et ordonné la
libérationdes condamnés, ce qui a provoqué une vague de violence dans le pays.
Des imams ont appelé au meurtre des homosexuels, accusant l’ancienne
force colonisatrice française – en la personne de Rama Yade, alors
secrétaire d’Etat aux droits de l’homme - d’avoir fait pression sur la
justice sénégalaise. Dans ce contexte, ce n'est pas étonnant que le
ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, ait
reconfirmé le 10 décembre dernier qu'il n'était « pas question de
dépénaliser l'homosexualité ».
Au Cameroun, également, la dépénalisation de l'homosexualité paraît
tout aussi utopique. Du moins à court terme : la prochaine
présidentielle, prévue en 2011, n'incite pas à la prise de décisions
a priori impopulaires
dans un pays où les arrestations sont nombreuses et où la presse a
publié des listes d'homosexuels présumés. Une méthode par ailleurs très
prisée par le journal ougandais
Red Pepper...
Situations intermédiaires D'autres Etats semblent hésiter sur la voie à suivre. Un premier
groupe, dont le Rwanda fait partie, ont une trajectoire tendant vers
l'interdiction de l'homosexualité. Le Burundi, lui, a récemment
franchi le pas en adoptant, en novembre 2008, un nouveau code pénal prévoyant des peines de trois mois à deux ans de prison et des amendes.
Au Maghreb, la situation est très contrastée. En Egypte, par
exemple, l’homosexualité n’est pas officiellement un délit. Mais selon
Amnesty International, « la police des mœurs, utilise tout un réseau de
délateurs, organise des pièges sur Internet, des raids dans des
appartements privés, la mise sur écoutes téléphoniques » pour débusquer
les homosexuels.
Au Maroc, ces derniers encourent trois ans de prison. Mais l'association
Kif-Kifpeut défendre ouvertement leurs droits et mener des actions de
sensibilisation. Les violentes manifestations contre deux hommes
soupçonnés de s’être mariés symboliquement à Ksar el-Kébir en novembre
2007 montrent cependant que son combat sera long.
Il existe également de nombreux pays où le manque d'information ne
permet pas de savoir si la loi répressive est appliquée ou non. C’est
le cas du Malawi, où deux hommes ont été arrêtés, le 28 décembre, pour
avoir célébré leur mariage symbolique. Pourtant, le pays fait
régulièrement appel à la communauté homosexuelle pour l’aider à
combattre le sida, qui frappe 14% des adultes.
Même climat ambigu au Kenya, où un organisme de santé publique s’apprête à lancer une
vaste enquête de santéauprès des homosexuels dans le but de contenir la propagation du sida -
en dépit de l'interdiction légale qui pèse sur ces derniers. Enfin,
d'autres pays se situent franchement sur une ligne plus libérale.
Le Cap-Vert, la Centrafrique et le Gabon notamment n’ont pas de
législation contre les gays et les lesbiennes. Et ce sont les seuls
pays africains à avoir signé le 18 décembre 2008 un projet français de
déclaration à l’ONU sur la dépénalisation universelle de
l'homosexualité.
Législations protectrices Au final, l’Afrique du Sud est le seul pays africain - et l’un des
rares au monde - qui interdise toute forme de discrimination, y compris
sur la base de l’orientation sexuelle: les gays et les lesbiennes ont
obtenu le droit de se marier, d’adopter ou encore d’hériter de leur
partenaire.
Mais la réalité n'est pas idyllique pour autant. Si chaque année les
défilés de la Gay Pride (Marche des fiertés gays) ont lieu, les
violences verbales et physiques sont fréquentes, surtout envers les
lesbiennes. Dans les townships, elles subissent souvent des « viols
correctifs » reposant sur la croyance qu'elles n’ont pas rencontré
d’homme capable de leur faire apprécier les relations hétérosexuelles.
Quant au président Jacob Zuma, il ne porte pas non plus les
homosexuels dans son cœur. Quelques mois avant la légalisation du
mariage entre homosexuels, le 1er décembre 2006, il avait déclaré : «
Le mariage des homosexuels est une disgrâce pour la nation et pour Dieu
», avant de s’excuser face au tollé suscité.
A noter enfin que l’Île Maurice semble suivre de près le modèle
sud-africain. La première Gay Pride y a été organisée en 2006 et le
gouvernement a déposé en novembre 2008 un texte sur l’égalité des
chances pour tous, y compris les homosexuels.
Si le texte était adopté, Maurice deviendrait le deuxième pays
africain à disposer d’une législation vraiment protectrice des droits
des homosexuels. Mais comme le démontre le cas sud-africain – et bien
d'autres pays hors du continent - légiférer ne résout pas tous les
problèmes.
le jeune afrique