Une comédienne algérienne prise pour cible en plein Paris
Christophe Cornevin et Cécilia Gabizon
Rayhana, comédienne et metteur en scène réfugiée en France après avoir vécu sous la menace des islamistes en Algérie.
Crédits photo : AFP
Dénonçant au théâtre le machisme au Maghreb, Rayhana a été aspergée de White Spirit. Perpétrée en plein Paris, visant une dramaturge algérienne qui défend la condition féminine à deux pas d'une mosquée radicale,
l'agression est hautement symbolique. Rayhana,
comédienne et metteur en scène réfugiée en France après avoir vécu sous
la menace des islamistes en Algérie, se rend ce mardi soir à la Maison
des métallos dans le XIe arrondissement. Elle joue dans sa pièce, À mon
âge, je me cache pour fumer.
L'œuvre, courageuse et crue,
met en scène plusieurs femmes évoquant au hammam leur vie, leurs
espérances, le machisme qu'elles subissent. La pièce, renvoyant dos à
dos militaires et intégristes dans une Algérie corsetée, se joue quatre
soirs par semaine en face de la mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud,
réputée intégriste. Alors qu'elle s'apprête à rejoindre la salle
de spectacle, Rayhana est abordée par deux inconnus qui l'insultent en
arabe avant de brandir une bouteille, de l'asperger de White Spirit et
de lui jeter un mégot incandescent au visage pour tenter en vain de
l'enflammer. In extremis, l'artiste se réfugie à la Maison des
métallos. Puis se rend, accompagnée d'amis, dans un commissariat de
quartier afin d'y déposer une plainte. «Le soir même, sans avoir le
temps de se doucher, elle a tenu à jouer le spectacle comme si de rien
n'était», précise-t-on à la Mairie de Paris où Bertrand Delanoë s'est
déclaré «indigné par ce terrible événement qui semble trouver son
origine dans le sujet même de ce spectacle…». Fadela Amara s'est dite
«révoltée par cette agression intolérable», tandis que la société des
auteurs compositeurs s'inquiète du fait «que la liberté d'expression
soit menacé en France en 2010». Disant s'indigner de cette agression
visant une femme «qui s'est toujours engagée en faveur de la promotion
des droits des femmes», la secrétaire d'État à la Famille Nadine Morano
a annoncé jeudi qu'elle la recevrait aujourd'hui. Le ministre de la
Culture, Frédéric Mitterrand, a exprimé «tout son soutien et sa
sympathie» à la dramaturge ainsi que son «admiration» pour son courage.
L'association féministe Ni Putes ni Soumises a, quant à elle, appelé à
un rassemblement samedi devant la Maison des métallos. Devant
la gravité des faits et leur dimension politico-religieuse, l'enquête a
été confiée à la section antiterroriste de la brigade criminelle. Sous
le choc, Rayhana n'aurait pas été en mesure de décrire ses agresseurs.
L'affaire est prise d'autant plus au sérieux que l'artiste avait fait
l'objet d'une première prise à parti le 5 janvier, à la sortie de son
domicile dans le quartier de Belleville. «Deux hommes m'ont traité de
putain et de mécréante», a expliqué Rayhana dans une conférence de
presse jeudi. Aucun coup n'avait été porté et une première plainte
avait été déposée. «C'est un avertissement», lui avait glissé un
agresseur. L'agression intervient dans un quartier considéré comme une
enclave islamiste par les policiers. Fouad Ali Saleh y recruta les deux
Marocains qui l'aidèrent à organiser des attentats à Paris, dont celui
de la rue de Rennes en 1986. Officiellement, l'islam prêché dans cette
mosquée est rigoureux et apolitique. Mais le mouvement Tabligh pratique
un prosélytisme actif et professe un piétisme radical pouvant parfois
induire la rupture avec la société occidentale. Dans le
quartier, leur souffle religieux s'inscrit dans le paysage. Les
commerces communautaires ont peu à peu remplacé les échoppes
traditionnelles. «C'est une des seules rues de Paris où se
commercialise la burqa», fait remarquer Philippe Mourrat, le directeur
de la Maison des métallos. «Cela crée un climat. Nous évitons les
provocations. Pour autant, nous n'allons pas nous censurer.» Depuis
l'agression, Rayhana fait l'objet d'une protection policière, et quatre
agents en tenue de la mairie de Paris sécurisent la salle de spectacle.le figaro