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 2 000 ans d'histoire sous la terre

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Dulce
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MessageSujet: 2 000 ans d'histoire sous la terre   2 000 ans d'histoire sous la terre EmptyDim 2 Aoû - 13:40

Aux origines d’Alger : un diagnostic archéologique place des Martyrs

Les travaux d'infrastructure du métro d'Alger et de ses ouvrages annexes (stations, puits de ventilation, etc.) se déroulent dans le périmètre de la Casbah, inscrit au patrimoine national algérien depuis 1973, et au Patrimoine mondial de l'Humanité par l'Unesco en 1992. Plus de deux mille ans de l'histoire d'Alger y sont enfouis.
2 000 ans d'histoire sous la terre 420_21527_vignette_-DSC5768
Ce quartier recouvre en effet une partie de l'agglomération d'Ikosim, un ancien comptoir punique. Les connaissances sur l'origine de cette cité sont toutefois limitées : la fondation de l'antique Ikosim remonterait au iiie siècle avant notre ère. La cité faisait partie intégrante du royaume de Maurétanie de Juba II (52 av.- 23 de notre ère), prince élevé à Rome et dont la capitale est Césarée (Cherchel). En 40 de notre ère, la mainmise romaine devient totale après l'assassinat de Ptolémée, fils de Juba II, sur ordre de Caligula. Ikosim, sous le nom romanisé d'Icosium, devient alors municipe romain – statut dont bénéficient les cités autonomes au sein de l'Empire. En 371-372, la Maurétanie se soulève et suit Firmus, prince rebelle à Rome, qui souhaite instaurer un État indépendant : Césarée et Icosium sont prises. Au viie siècle, à la naissance de l'Islam, la tribu des Beni Mezrenna s'y implante. En 1516, le corsaire Arudj Barberousse fonde à Alger une république qui résistera à Charles-Quint. Puis la ville connaît un développement important à partir du xvie siècle, sous la domination ottomane. A partir de 1830, l'époque coloniale laisse également son empreinte.
Pour les archéologues, il s'agit là d'une occasion unique d'ouvrir une fenêtre dans le sous-sol de la place des Martyrs. Bien conservés, les niveaux archéologiques atteignent plus de 7 m d'épaisseur. Le site révèle des caves de l'époque coloniale, un quartier commerçant d'époque ottomane (xvie-xixe siècles), d'importants vestiges paléochrétiens et des niveaux antiques.





Un partenariat international exemplaire

Conscientes des conséquences de ce projet urbain sur les vestiges archéologiques, les autorités algériennes ont suscité la mise en œuvre d'une opération d'archéologie préventive, sans précédent en Algérie. Elle est assurée par le ministère de la Culture algérien en collaboration avec le ministère des Transports, en partenariat avec l'Institut national de recherches archéologiques préventives français, sous l'égide du Centre du patrimoine mondial de l'Unesco.
L'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés (ogebc) et l'Entreprise du métro d'Alger (ema) lui apportent leur concours matériel.
L'intervention est réalisée par une équipe franco-algérienne d'archéologues qui mettent en commun leurs compétences et leur savoir-faire et relèvent de plusieurs institutions agissant de concert :
– Ministère de la Culture de la République algérienne démocratique et populaire ;
– Institut national de recherches archéologiques préventives ;
– Centre national de la recherche archéologique ;
– Direction de la culture de la wilaya d'Alger ;
– Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés.
Les résultats de ce diagnostic permettront de préciser, voire de restreindre l'emprise de la station de métro, afin de limiter la destruction des vestiges.




Le quartier des souks ottomans

Au sud de l'emprise, dans un premier sondage, les restes du quartier des souks d'époque ottomane ont été mis au jour. Deux rues pavées distribuaient des échoppes et des ateliers d'artisans. Un atelier de ferronnerie présente des sols de travail construits en briquettes sur des voûtes encore en élévation, ainsi que des aménagements liés au travail du métal, des forges et des fours.




Une basilique paléochrétienne

Dans les niveaux sous-jacents, une basilique paléochrétienne a été découverte. Il s’agit d’un bâtiment de taille respectable dont la nef principale fait près de 10 m de largeur. Les limites des collatéraux n’ont pu être reconnues car les murs se situent en dehors de l’emprise du diagnostic.
Le dernier sol, qui recouvre un état primitif, est constitué d’une mosaïque polychrome qui pourrait remonter au ive ou ve siècle de notre ère. La partie périphérique comporte un décor de cercles sécants noirs sur fond blanc avec croix centrale. Le décor central est constitué de cercles dentelés alternativement rouges et verts, et d’une série de panneaux carrés décorés de « nœuds de Salomon ». Il subsiste la base d’un piédestal mouluré dans ce qui pourrait être l’abside ainsi que les traces d’encastrement de panneaux d’un chancel dans le chœur.
Après l’abandon de l’édifice religieux, une nécropole est installée dans les ruines du bâtiment.
Cet ensemble recouvre un édifice plus ancien remontant au Haut-Empire romain, dont ne subsistent que les fondations.

Au nord de l’emprise, un autre sondage a révélé un quartier d’habitation de l’époque ottomane, repris et transformé pendant la colonisation. Il surmonte les murs de maisons romaines occupées jusqu’à l’antiquité tardive.
Ces résultats sont encore provisoires, puisque les niveaux les plus profonds de la place des Martyrs n’ont pas encore été dégagés laissant espérer des vestiges de l’époque punique, voire des vestiges proto et préhistoriques.

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MessageSujet: Re: 2 000 ans d'histoire sous la terre   2 000 ans d'histoire sous la terre EmptyDim 2 Aoû - 23:27

Délicatement tamponnée avec une éponge humide, la mosaïque polychrome révèle, après quinze siècles d'oubli, l'éclat de ses rouges, de ses jaunes, de ses noirs et la délicatesse de ses motifs. La chaleur de l'été algérois a tôt fait d'évaporer l'eau. Les tesselles perdent immédiatement leur éclat, s'affadissent en couleurs passées, brûlées par la lumière trop crue, comme s'évanouit un rêve.

Les archéologues viennent de mettre au jour le sol décoré d'une basilique paléochrétienne, datant à première vue du Ve ou du VIe siècle. Ils ne peuvent s'attarder dans cette contemplation, affiner la datation ou vérifier leurs hypothèses. Ils ont déjà repéré, en dessous, des vestiges plus anciens, un mur datant du Ier ou du IIe siècle de notre ère, qu'il faut vite excaver.

Tout autour du chantier, gronde la rumeur impatiente d'Alger. Place des Martyrs, au pied de la Casbah et de la grande mosquée Djamâa el-Jdid, là où bat le coeur de la capitale, deux larges trous ont été ouverts de chaque côté d'un monument érigé en l'honneur des héros de la guerre d'indépendance. A la pelleteuse et au pinceau, les fouilles exhument, palier après palier, le riche passé de la ville.

Vingt mètres sous terre passera bientôt la première ligne de métro, qui devrait être achevée à la fin de 2009. Une station doit être percée, place des Martyrs. Or le pays s'est doté d'une loi qui protège les monuments historiques. Le périmètre est en outre classé par l'Unesco au Patrimoine mondial de l'humanité depuis 1992. Les autorités ont donc commandé des sondages du sol, sous la responsabilité conjointe du Centre national de la recherche archéologique, de l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels et de la Direction de la culture de la wilaya d'Alger.

L'Algérie a demandé l'appui technique de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) français, rodé à ce type de fouilles express, sous la pression des aménageurs. "Nous ne faisons pas à la place des Algériens, précise François Souq, 53 ans, directeur de l'Inrap Méditerranée. Nous transmettons un savoir-faire." Quatre archéologues français et une douzaine de confrères algériens creusent ainsi depuis un mois, six jours par semaine, neuf heures par jour, par plus de 40 ºC.

Sous la croûte de bitume, les traces de la première colonisation française ont été relevées. Puis l'étage ottoman a été excavé, laissant apparaître ce qui pourrait être une mosquée, quelques rues au pavement de galets et les traces d'un souk. La strate médiévale a été plus décevante, signalant un déclin de la cité à cette époque que relatent d'ailleurs la plupart des textes. Puis, il y eut la découverte de la basilique, large d'une vingtaine de mètres, flanquée de sépultures dont les ossements ont - hélas ! - mal résisté au temps. Des bases de colonnes subsistent également. Affleure juste en dessous le Bas-Empire.

Il reste encore trois bons mètres à excaver avant de heurter le tablier de roche schisteuse. Avec l'espoir d'atteindre l'époque de l'apogée romaine et, qui sait, l'ancien comptoir phénico-punique, connu dans les livres sous le nom d'Ikosim, dès le IIIe siècle avant notre ère. "Des sites comme celui-ci, on en a une ou deux fois dans sa vie, assure François Souq. Nous faisons remonter deux mille ans d'histoire sur 7,50 mètres de stratigraphie. Et c'est à Alger, une ville emblématique." Le temps presse.

Les archéologues ont huit semaines pour achever leur diagnostic et rédiger un rapport sur leurs découvertes. "Nous ne devons pas être considérés comme ceux qui bloquent les projets de développement", disait Kamel Stiti, 44 ans, l'archéologue algérien qui codirige le chantier avec François Souq. Les ministères de la culture et des transports ferrailleront pour décider de l'ampleur des fouilles qu'il conviendra d'accomplir ensuite, débat classique entre défenseurs du passé et promoteurs de l'avenir.

Dans la jeune République algérienne, née des affres de la guerre d'indépendance, se greffe une autre considération, plus politique. Jamais des recherches préventives d'une telle ampleur n'avaient été entreprises. Tout juste avait-on trouvé, au hasard des coups de pioche, quelques pièces puniques ou les restes d'une domus romaine.

Le pays ancre son nationalisme dans la lutte contre le colonialisme. Mais l'histoire de cette terre est celle de l'assimilation successive par les populations berbères des apports extérieurs, qu'ils soient envahisseurs ou protecteurs encombrants. La ville aura été Ikosim, Icosium, El-Djezaïr puis Alger. Phéniciens, Romains, Vandales, chrétiens, pirates, conquérants arabes, janissaires de l'Empire ottoman ont ainsi laissé leurs empreintes successives dans le sol, pris et donné, pillé et enrichi.

Les Français sont venus à leur tour. Ils ont remanié la basse Casbah, au milieu du XIXe siècle, ont construit des immeubles haussmanniens avec les matériaux trouvés sur place. Mais chaque nouvel arrivant semble avoir fait de même, comme l'atteste le réemploi des pierres. "Nous découlons d'un brassage des civilisations", en conclut Kamel Stiti. Très suivi par les médias algériens, le chantier archéologique est ainsi devenu une quête identitaire.

Benoît Hopquin (Le Monde)
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