il m'aime comme je suis Miroir, miroir… Un peu par jeu, beaucoup par curiosité, nous avons
interrogé la population masculine et cherché à déchiffrer son regard
sur nous, les femmes.
Surprise ! Comme le révèle notre sondage exclusif “Madame Figaro”-CSA,
les hommes s’amusent de nos complexes. Ils nous aiment naturelles, bien
dans notre peau, joliment vivantes. La fin d’un malentendu ?Silhouette trop enrobée, seins trop petits, fesses trop rondes… Les
femmes ont toujours quelque chose à se reprocher. À tort ! Car dans la
vraie vie, les hommes nous aiment telles que nous sommes. En mouvement.
Spontanées. Imparfaites. Nous avons beau nous plaindre de nos défauts
physiques, ils les considèrent plutôt avec indulgence. Ils sont même
36% à répondre qu’un petit ventre les attendrit, selon notre
sondage exclusif « Madame Figaro »-CSA.
Un sondage qui remet sacrément les pendules à l’heure et nos formes à
l’honneur, au-delà des normes. La preuve par l’intérêt prononcé que
nous portent les hommes : ils se retournent sur huit femmes en moyenne
par jour, qu’ils soient en couple ou non.
« Ce sondage est une ode aux femmes ! », résume Jean-Daniel Lévy, directeur de CSA
Politique-Opinion. « Les hommes ne leur demandent pas de changer
d’apparence. S’ils sont charmés à 77% lorsqu’une femme dit vouloir se
mettre au sport, c’est qu’ils y voient une façon de se maintenir en
forme, plutôt que de modifier ses formes. » Car ils n’en demandent pas
tant, et surtout pas le recours au bistouri. « Les hommes ne souhaitent
pas, et plus encore ne comprennent même pas, que les femmes aient
recours à un lifting ou à une liposuccion. C’est le signe d’un
véritable malentendu sur ce que les femmes leur prêtent comme pensées
», analyse Jean-Daniel Lévy.
Séduisantes imperfectionsPour le sociologue de la nudité, Christophe Colera, cet attendrissement
pour nos imperfections traduit bien « l’existence d’un hiatus entre des
normes de beauté “officielle” apposées aux femmes des magazines, beauté
digne de l’idéal de la statuaire grecque, et un rapport réel des hommes
à leurs compagnes ou aux femmes croisées quotidiennement, qui
s’inscrit, lui, dans une trame narrative, un vécu affectif ». Sans
oublier, ajoute-t-il, que les grandes séductrices, « celles qui ont eu
ce pouvoir d’hypnotiser les hommes, ont souvent été dans l’Histoire
très éloignées des canons de leur époque. Même si certaines constantes
anthropologiques – de grands yeux, un nez fin, une différence marquée
entre le tour de taille et celui des hanches – sont toujours perçues
comme des éléments de beauté par-delà les modes ».
Notre sondage délivre à sa manière un avertissement retentissant : les
hommes détestent que nous ressassions nos complexes. Ils sont même 80 %
à juger agaçant qu’une femme pointe systématiquement ce qu’elle n’aime
pas chez elle. Et ne supportent pas les dégâts collatéraux : refuser de
dire son âge, rechigner à se mettre en maillot, vouloir suivre un
régime… « Tout cela est considéré comme une autoflagellation féminine
qui ne recueille pas un sentiment positif chez les hommes », souligne
Jean-Daniel Lévy. Christophe Colera pointe là un refus de la part des
hommes de comportements trop compulsifs. « Le choix de faire du sport
évoque à leurs yeux une décision dynamique, tandis que l’obsession du
miroir, ou du régime, peut avoir quelque chose de répétitif, voire de
morbide, tel que Kieerkegard ou Freud ont pu l’envisager. »
Le rejet du collagèneUne des surprises du sondage est de constater combien les hommes
sont unanimes dans presque toutes leurs réponses, quel que soit leur
âge, leur profession, leur lieu de vie. « Les regards sont certes
marqués d’une intensité différente, mais ils vont tous dans la même
direction », note Jean-Daniel Lévy. En clair : l’immense majorité des
hommes est sensible aux femmes qui s’acceptent telles qu’elles sont,
plongées dans la vie réelle et pas figées dans un décor de pub,
forcément imparfaites. « On est loin des fantasmes des transhumanistes
américains, qui veulent conduire femmes et hommes à l’éternité par
l’implant de nouveaux matériaux en tout genre », reprend Christophe
Colera. Le rejet unanime du collagène dans les lèvres tient
probablement, pour le sociologue, à « la dimension affective
particulière accordée de tout temps par l’humanité au visage, support
de la personnalité – “persona” en grec veut dire “masque”. D’ailleurs
l’anthropologue Desmond Morris a rappelé il y a peu que si le rôle des
lèvres était plus important que celui des seins, c’est parce qu’il
touche directement aux affects les plus profonds. Le baiser sur la
bouche est interdit par les prostituées. »
Le concept de la femme-objet en prendrait-il ici pour son grade ?
Certainement, même si une certaine ambiguïté demeure : les hommes, sur
certaines touches précises, veulent bien voir chasser le naturel,
puisque rares sont ceux qui apprécient une épilation approximative, ou
encore des cernes. « Il y a un rapport à l’épilation de plus en plus
tatillon dans nos sociétés, commente Christophe Colera, qui jure avec
le goût de la pilosité spontanée des années 1970 par exemple. Cela peut
tenir à une singularité française – dénoncée par les naturistes de la
fin du XIXe siècle –, qui valorise un dénudé “raffiné” plutôt qu’une
nudité naturelle, à la différence des Allemands par exemple. »
Nullement ambiguë, en revanche, cette propension des Français à se
retourner sur une femme dans la rue : « ce n’est pas politiquement
correct de le confesser. Mais la franchise des sondés à cette question
crédibilise toutes les autres réponses, qui sont loin d’être prudes »,
conclut Jean-Daniel Lévy. Reste qu’en miroir de cette question qui peut
paraître légère – sur combien de femmes vous retournez-vous chaque jour
dans la rue ?- Christophe Colera repère « la persistance d’une
valorisation sociale (patriarcale ?) de l’homme qui sait apprécier les
belles femmes. On est loin, poursuit l’anthropologue, de la déclaration
de Périclès à Socrate selon laquelle les yeux du stratège doivent être
chastes comme ses mains, ou de celle de Jésus dans l’Évangile, pour qui
regarder une femme, c’est déjà commettre l’adultère»…. La franchise des
sondés colle certes à l’image culturelle du séducteur en France, et
elle pourrait nous faire sourire, donnant enfin tort à ce mot de La
Bruyère : « Les hommes et les femmes conviennent rarement sur le mérite
d’une femme : leurs intérêts sont trop différents. »
“ Les hommes sont moins dans l’apparence qu’on ne le croit ” JANINE MOSSUZ-LAVAU, SOCIOLOGUE (1)– Pourquoi est-ce ce qui nous déplaît qui justement les attendrit ?– Ils sont d’abord émus par ce que j’appelle les « endroits
stratégiques », c’est-à-dire ceux que les hommes caressent : le ventre,
les seins, les fesses. Les rides ou les cernes, en revanche, ne sont
pas des éléments évocateurs de sensualité, d’échange. Ce qui prouve que
les hommes sont moins dans l’apparence qu’on ne le croit. C’est tout
l’intérêt de ce sondage. C’est aussi la preuve que les hommes ne
prennent pas pour argent comptant le modèle féminin de femmes
filiformes ou androgynes que l’on tend à leur imposer. Ils parlent des
femmes qu’ils côtoient chaque jour, dans le métro, au bureau : un peu
rondes, bien dans leur peau, émouvantes. Cela renvoie à quelque chose
d’assez permanent dans les goûts des hommes, qui tend plus du côté de
la peinture de Renoir, avec ses femmes tout en rondeurs, très
sensuelles, que des défilés de mode actuels.
Je dirais que ce sondage redonne une image de la société française
telle qu’elle est, et non telle qu’elle peut être représentée par la
publicité.
L’âge ou le niveau social des sondés importent-ils ?Peu. Même si chaque tranche d’âge juge attendrissant les défauts liés…
à son âge. Par exemple, les 50 ans et plus sont les plus indulgents
pour les rides. Mais d’une façon générale, on note un certain consensus
dans les réponses. Le recours à la chirurgie esthétique est unanimement
rejeté, car il témoigne d’une certaine crainte de voir sa partenaire
devenir une autre femme. Les hommes condamnent aussi très largement les
régimes parce qu’ils en supportent directement les conséquences. Soit
madame met toute la famille au régime, soit elle chipote dans son coin
et fait bande à part, ce qui n’est jamais convivial.
La surprise vient du clivage politique ?Le plus drôle, c’est que dans
ce sondage,
les hommes qui acceptent davantage la liposuccion et les injections
antirides se trouvent du côté des Verts ! On avait imaginé, à tort,
qu’ils penchaient pour tout ce qui est naturel…
“Les femmes devraient croire les hommes quand ils leur font un compliment” ANTOINE PELISSOLO, PSYCHIATRE (2)– Croyez-vous à l’indulgence des hommes vis-à-vis de nos complexes ?
– Ils ont de l’indulgence pour les défauts qu’ils ont en commun avec
les femmes, comme le petit ventre et les rides. On peut imaginer qu’il
y a là un phénomène d’identification. Mais les hommes ont aussi du mal
à accepter des femmes trop centrées sur elles-mêmes, obsédées par leurs
complexes, qui oublient de tenir compte de leur avis. Cela rejoint ce
qu’on appele « l’anxiété sociale » : on prête à l’autre les pensées que
l’on a sur soi-même. L’autre est considéré comme un miroir, dépossédé
de son jugement propre.
Quels enseignements tirez-vous de ce sondage ?Certes, les femmes aujourd’hui ont à affronter des diktats de
l’esthétisme et du jeunisme de plus en plus envahissants. Mais elles
devraient être plus attentives au regard de leur partenaire, et croire
les hommes quand ils leur font un compliment : c’est sincère. Enfin, si
les hommes avouent qu’ils se retournent en moyenne sur huit femmes par
jour, ce n’est pas seulement parce qu’il y a là une réaction hormonale.
C’est aussi une façon d’entrer en communication. Je dirais aux femmes :
même si vous êtes gênées par le fait qu’un homme se retourne sur vous,
dites-vous bien que c’est d’abord une marque d’attention, qui ne
véhicule pas forcément une idée à connotation sexuelle…
(1) Directrice de recherche au CNRS et au Cevipof (Centre de recherches de Sciences po). Vient de publier
Guerre des sexes : stop !, éditions Flammarion.
(2) Responsable d’un centre spécialisé dans les troubles anxieux et phobiques à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière. Coauteur de
Ne plus rougir et accepter le regard des autres, éditions Odile Jacob.
MADAME FIGARO