Pakistan : une lumière dans la nuitElle refuse le terme de "guerre civile" et préfère parler
d'un "conflit entre les forces de sécurité pakistanaises et des groupes
armés". Elle dit aussi que le Pakistan "n'est pas encore un
état failli". Mais souligne de trois traits le "pas encore". Elle croit
en la démocratie, même si le gouvernement actuel à Islamabad est une
déception... Elle, c'est l'avocate Hina Jilani, l'une des femmes les plus remarquables que je connaisse. Une lumière dans la nuit que traverse le Pakistan.Je l'ai rencontrée à Lahore il y a une semaine. Comme d'habitude,
elle était débordée. Préoccupée, surtout, à cause de la situation au
Pakistan. "Le problème, dans ce pays, est que
l'opinion publique est quasi inexistante, il n'y a que des débats confus. Oui, il y a beaucoup de
confusion et de frustration, et il est temps de se poser la question de savoir
où va le Pakistan, où sont ses intérêts",
a-t-elle avancé d'emblée. Elle en est convaincue, "aucun parti
politique ne soutient les terroristes". Quant aux groupes qui sèment la
terreur, "ne vous y trompez pas, ils ne sont pas les porte-parole des
pauvres et des démunis. Ils n'agissent pas non plus au nom de la
religion, comme ils le prétendent.
Leur objectif est tout simplement de prendre le pouvoir, et pour cela, il leur faut déstabiliser l'Etat pakistanais".
Hina Jilani rappelle aussi que pendant près de trente ans, l'Etat
pakistanais a contribué à former ces groupes terroristes, et
qu'aujourd'hui, ils n'ont pas l'intention de déposer les armes. Mais,
dit-elle, "le Pakistan contrôle encore son territoire et il n'est pas
sage de comparer le Pakistan à l'Afghanistan" comme le font les
Etats-Unis. Le problème, selon elle, c'est qu'apès le 11 septembre
2001, les responsables pakistanais ont été "obligés" de changer de
politique vis-à-vis des formations terroristes, mais qu'ils ne l'ont
pas vraiment fait. Le véritable tournant remonte à 2008, lorsque le
général Musharraf a dû céder la place à un gouvernement civil.
Pas parfait le gouvernement Zardari ? C'est le moins qu'on puisse dire."C'est vrai, le leadership politique actuel, y compris le parti au
pouvoir (le PPP de Bhutto, NDLR) est totalement incapable de montrer la
réalité aux gens. D'où la confusion (ce sera décidément le mot clé de
notre rencontre...) actuelle.
Mais le Pakistan est en ce moment dans une phase de transition, rétorque Hina Jilani. En 2008, le gouvernement a arrêté de sponsoriser le terrorisme, mais
il
y a encore, à tous les échelons et dans tous les secteurs,
des individus qui regrettent le passé et s'opposent à la nouvelle
politique". Alors, après, la corruption, l'incapacité
du président à gouverner, c'est encore autre chose. Ce qu'il faut,
c'est évaluer le poids de ces éléments nostalgiques d'une époque
révolue.
"Ce que je redoute par-dessus tout, lance Hina,
c'est un retour des bottes dans ce pays". Entendez des militaires.
Une époque où le Pakistan avait deux fers au feu ? Dont l'un contre l'Inde..."Le Pakistan est
le seul pays au monde qui ne s'entend avec aucun de ses voisins, dit
Hina. Le problème n'est pas d'aimer les Indiens, mais de vivre en
harmonie avec eux". Elle ajoute, brisant tous les tabous pakistanais :
"La cause cachemirie, qui me tient pourtant à coeur, retient le Pakistan en otage.
J'en ai assez de voir notre armée mobilisée par la question du
Cachemire. Il y a d'autres combats à mener". Dont l'opération contre
les talibans, qui se déroule actuellement au Sud-Waziristan. Mais là,
juriste jusqu'au bout des ongles, forte, surtout, de son engagement en
faveur des droits de l'homme, l'avocate relève : "Je suis contente que
les forces de sécurité pakistanaises se soient enfin décidées à
lancer un opération au Sud-Waziristan, mais elles doivent agir dans la
plus grande transparence. Or, ce n'est pas le cas". Elle veut savoir si
l'armée pakistanaise respecte la Convention de Genève, si les victimes
ne sont pas traitées de manière injuste, ce qui ne manquerait pas de
braquer la population... Et puis, dit-elle,
"il faut juger les
terroristes, pour qu'ils ne puissent pas se cacher derrière une
idéologie facile à vendre, et faire passer toutes leurs atrocités pour
des actions perpétrées au nom d'Allah".Hina Jilani a, entre autres, horreur du déni qui hante le Pakistan :
"L'aspect
le plus négatif de la situation actuelle est la tendance à blâmer les
Etats-Unis, l'Inde etc. pour tous les maux de ce pays. C'est une manière d'échapper à tous les problèmes, à toutes les responsabilités.
Cela va au-delà du déni".Nous sortons ensemble de l'immeuble où se trouve son bureau. Son
garde du corps bondit à ses côtés, la kalachnikov au poing. La liberté
de parole est sous haute surveillance.le figaro