Est-il possible d'immobiliser une flèche en plein vol, rien qu'en la regardant fixement ? Drôle de question.
C'est pourtant, en substance, ce que viennent de réaliser à l'échelle quantique des scientifiques, avec un puits de lumière dans le rôle de la flèche. Les chercheurs du laboratoire Kastler Brossel (LKB) (1) ont en effet fabriqué un puits qui cesse de s'emplir de lumière dès qu'on regarde dedans de façon répétée. Autrement dit, ils sont parvenus à figer la lumière en l'observant (2) !
Ce qui n'est pour l'instant qu'une pure curiosité de laboratoire représente néanmoins un véritable exploit. Pour le réaliser, Michel Brune et ses collègues ont tiré profit de l'"effet Zénon". Cet effet tient son nom d'un paradoxe de l'Antiquité: si une flèche vole vers le talon d'Achille, à un instant donné, elle est sûrement quelque part, donc à cet instant elle ne bouge pas. Mais puisqu'elle ne bouge pas, elle devrait ne plus avancer et donc ne jamais atteindre sa cible. Le philosophe grec Zénon avait inventé ce paradoxe pour montrer aux hommes la difficulté à manipuler les notions de temps et d'espace.
Quel lien avec la mécanique quantique ? D'après les lois quantiques, si l'on effectue une mesure sur un système physique à l'échelle quantique, le système "gèle" momentanément dans un état donné. Imaginons qu'on puisse réaliser plusieurs mesures à des intervalles de temps ultracourts, alors le système sera emprisonné dans l'état en question, exactement comme la flèche du paradoxe était "bloquée" dans une position précise le long de sa trajectoire. Ce qui était un paradoxe dans notre monde de tous les jours est ainsi devenu un phénomène physique: l'effet Zénon.
Le puits de lumière auquel les physiciens ont transposé ce principe est une cavité micro-onde, une sorte de boîte réfléchissante censée s'emplir de photons dès qu'elle baigne dans un champ micro-onde. Et effectivement, dès qu'ils ont plongé la cavité dans un tel champ, les chercheurs ont vu, via un jet d'atomes qui fait office de sonde et qui traverse le puits, la cavité se peupler, petit à petit, de photons. Rien de plus normal, donc.
Mais tout a changé lorsqu'ils ont raccourci l'intervalle de temps entre deux recensements du peuplement en photons. Pour un intervalle de 0,2 seconde, le nombre de photons a cessé d'évoluer. En somme, en regardant fréquemment le puits, les chercheurs venaient de figer son état.
Un, deux, trois, soleil, version physique quantique !
Si l'effet Zénon est une curiosité de laboratoire, les techniques expérimentales développées pourraient avoir des retombées en informatique quantique. Ainsi, les parois de la cavité sont si bien polies qu'un photon micro-onde qui entre dans le puits y reste piégé en moyenne 0,13 seconde ! Une "stabilité" recherchée par les spécialistes de l'informatique quantique.
Notes:
(1) Laboratoire CNRS / Université Paris-VI / ENS Paris.
(2) Résultat publié dans Physical Review Letters.
Source: CNRS