…d’ennui et de désœuvrement
Un SDF, encore un, vient de mourir de froid dans une rue algérienne ces
dernières heures. Une famille algérienne, encore une, vient de se faire expulser
en plein froid du domicile qu’elle occupait depuis deux décennies, dans une
ville algérienne. Il serait peut-être temps d’en finir avec l’un des clichés les
plus usés, les plus éculés que j’entends presque en boucle dans mon pays et qui
se résume à ceci, à peu près : «Nous, en Algérie, alhamdoulillah, nous avons
encore de la rahma et de la compassion envers el moum’nin, les humains. Ce n’est
pas chez nous que des personnes pourraient mourir de faim et de froid. Et ce
n’est pas chez nous non plus que des familles pourraient se voir, du jour au
lendemain, expulsées de chez elles. Nous, on n’est pas comme les G’war ! En
Occident, oui, les SDF meurent de froid et les huissiers ne se gênent pas pour
venir mettre des parents et leurs enfants dehors en plein blizzard.» Voilà
condensé en quelques mots le genre d’argumentaire qui a le chic de me mettre en
rogne, qui m’insupporte au plus haut point. Désolé, mais les adeptes d’une telle
théorie de la rahma permanente et génétique doivent parler d’un temps ancien,
très ancien. Tellement ancien que les générations actuelles ne l’ont pas connu.
Et il est salutaire de se donner de temps en temps de bonnes paires de baffes en
pleine poire, de s’auto-administrer des raclées pour se réveiller. On peut
mourir de froid, seul, abandonné de tous, sur une portion de trottoir algérien.
On peut être une famille de plusieurs personnes, papa, maman, mamy et papy,
enfants et chardonnerets, et se retrouver expulsés manu militari, au mois de
janvier, par 5 degrés, de la maison que l’on habitait depuis des lustres. Y a
aucune règle bio-anatomique qui décrète que sur terre, nous, les Algériens, nous
ne laissons pas crever nos SDF, nous ne chassons pas nos compatriotes de leurs
mansardes en hiver et nous ne fourrons pas nos parents dans des foyers d’accueil
au crépuscule de leur vie, et parfois même bien avant. Ce n’est pas écrit dans
notre ADN que nous soyons le peuple le plus humain sur cette terre impitoyable.
Par contre, il y a plusieurs pays qui, eux, ont écrit noir sur blanc certaines
règles. Comme celle qui interdit à l’Etat ou à quiconque d’expulser de chez elle
une famille en pleine saison hivernale. Ce texte n’existe pas chez nous. N’a
jamais été écrit. Alors, commençons déjà par là, tout en en finissant avec les
clichés surannés et surtout démentis quotidiennement. Je fume du thé et je reste
éveillé, le cauchemar continue.
H. L.
le soir