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 EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES

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Dulce
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MessageSujet: EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES   EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES I_icon_minitimeDim 12 Oct - 23:04

Génie sous influence


EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES



Guillaume Benoit pour Evene.fr - Octobre 2008


L'événement est à la mesure de l'homme. Autour de Picasso, ce sont trois des plus célèbres institutions de l'art français qui s'unissent pour présenter l'ambitieuse exposition 'Picasso et les maîtres', qui propose une perspective nécessaire pour comprendre l'art de ce génie du XXe siècle.


EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES G1609

Octobre 1971. Le très prestigieux Louvre accueille, au sein de la Grande Galerie, les oeuvres d'un peintre dont on fête les 90 ans. Deux ans avant sa mort, c'est sans doute l'une des plus grandes récompenses que le monde de l'art puisse offrir à Pablo Picasso. On raconte même qu'il aurait profité de cette présentation pour passer une nuit entière à confronter ses toiles avec celles des plus grands maîtres. Rien d'étonnant quand on sait tout le poids qu'ont ces fantômes du passé sur son art. Près de 40 ans plus tard, la présentation de 'Picasso et les maîtres' fait encore figure d'événement en associant, pour la première fois, le Louvre et le musée d'Orsay autour du parcours d'envergure que présentent les galeries nationales du Grand Palais. Un voyage par-delà les siècles qui tient de l'évidence tant personne, plus que Picasso, ne semble contenir autant ce paradoxe fantastique de l'histoire de l'art ; l'un des plus grands novateurs est aussi celui qui est le plus indéfectiblement lié au passé.


A l'école des maîtres






Compter les références et autres reprises de tableaux de grands maîtres relèverait, chez Picasso, de l'entreprise titanesque. En réalité, l'histoire de l'art est au coeur de chacun de ses tableaux. Lui-même rappelle qu'il a toujours peint avec ses maîtres derrière lui. El Greco, Velazquez, Goya, Zurbaran, José de Ribera du côté espagnol, Gauguin, Cézanne, Ingres, Manet, du côté français, les traces et références directes aux postures, rapports de couleurs ou constructions des grandes figures de la peinture sont légion dans son oeuvre. Parmi les nombreux exemples, des tableaux aussi singuliers que 'L'Homme à la guitare', 'Meneur de cheval nu' ou 'Grand nu debout' se réfèrent explicitement au Saint-François d'Assise de Zurbaran, au 'Saint-Martin' du Greco et à la 'Femme nue debout' de Cézanne. Emprunts, inspiration voire hommage, le passé donne un squelette au monstre Picasso, jouant à son tour de l'air de famille pour créer un art puissant et dont l'étrange air de "déjà-vu" participe de sa véritable évidence. C'est d'ailleurs dans la dernière partie de sa vie que Picasso va assumer explicitement cet héritage.




EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES 1609_2

A partir des années 50, Picasso peint des adaptations libres des maîtres qu'il a admirés, parmi lesquels Cranach, Delacroix et Poussin, c'est vraiment face à Velazquez que Picasso souhaite se confronter, peignant plus de 40 variations des 'Ménines'. De même, ses essais autour du 'Déjeuner sur l'herbe' témoignent d'une volonté farouche, voire maniaque de faire émerger l'inédit d'une oeuvre déjà en rupture avec son époque. A coups donc de pliages, de destructions des formes, de modélisation, Picasso reprend à son compte et offre une somme considérable de relectures formelles de la peinture, repassant à travers la diversité des styles qu'il a développés, comme autant de tamis voués à en piéger le suc, l'oeuvre à laquelle il s'attaque. Véritable recherche, son obsession rappelle ce besoin de se réapproprier, de passer à son tour par toutes les phases successives de l'histoire d'une oeuvre. Sauvagerie pragmatique, c'est par l'expérience, l'essai et la reproduction que Picasso ressent le trait de ses prédécesseurs et fait émerger sa propre marque.


Repenser la peinture


sa formation aux Beaux-Arts et tirant vers un expressionnisme mélancolique, le jeune Picasso s'installe dans le Paris des années 1900 où il va développer, avec son ami Georges Braque, un trait tout à fait singulier. Organe rêvé de l'histoire de l'art, ce virtuose, qui dessinait comme un maître classique à 10 ans, capable de reproduire toutes les techniques, va pourtant rompre ses attaches et établir un nouveau type de figuration. Il fait ainsi le choix du cubisme, recomposant, à l'aide de son nouveau langage, le monde qui l'entoure au gré de volumes représentés sur la toile. Dès ses premiers travaux, Picasso est donc ancré dans un jeu d'influence constant. S'il s'efforce d'abandonner les codes de la représentation traditionnelle, son dialogue avec Braque le place dans un rapport continu de regardeur et de regardé. Ce n'est plus seulement le monde qui se révèle sous un jour nouveau avec sa peinture, mais aussi les représentations du monde laissées dans l'art de ses prédécesseurs. Car la question du cubisme répond à une recherche fondamentale de l'histoire de la peinture ; comment offrir à une toile la profondeur et le volume de l'objet qu'elle est censée représenter ?

Exemple symptomatique de cette voie vers la création d'un nouveau geste, ses célèbres 'Demoiselles d'Avignon' est considéré comme le point de départ du cubisme et l'ouverture de la voie vers l'abstraction. Pour l'artiste comme pour l'histoire de l'art, ce tableau ouvre une brèche et amorce toute la révolution Picasso. Mais, pour original et radical qu'il est, il multiplie les références à l'histoire de l'art et, dans cette valse de formes et de figures qui sont autant de propositions pour une nouvelle vision, la somme d'influences a tout du jeu de pistes à démêler. Une perspective étonnante pour cet artiste, que l'on pourrait croire si impliqué dans sa démarche qu'il en aurait oublié ses prédécesseurs. Pourtant, c'est bien parce qu'il a toujours été indissolublement lié à son monde que Picasso l'a tant peint, tant représenté, lui aposant les critères de ce qu'il en percevait.


Digérer le monde

Picasso est un cannibale. Derrière ses airs de sauvage au travail lorsqu'il crée, c'est une encyclopédie de la peinture et de la sculpture qui est digérée, repensée, transformée et lancée sur les toiles, dans la matière. Torse nu dans son atelier, les gestes de Picasso sont vifs, les pinceaux courent sur la toile et s'en échappent aussitôt. A partir d'une ligne, d'une trace, sa perspective s'installe, reconnaissable, malgré la variété de périodes qu'il a traversées. Cette force brute, Picasso la déploie comme on marque son territoire. Une forme de violence qu'il a toujours exprimé : "Il faut que nous restions des sauvages", a-t-il rappelé lors de sa rencontre avec Léopold Sédar Senghor. Sa découverte des arts premiers est éloquente ; ce peintre qui, devant les peintures rupestres des grottes de Lascaux aurait prononcé le célèbre, "on n'a pas fait mieux depuis", se servira des reliefs des masques africains pour forger nombre de personnages de son oeuvre. Une attention à toutes les formes de créations et de langages qui fait la singularité de Picasso.

EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES 1609_5
L'artiste fait partie du monde, ne s'abstrait pas de ses codes. Si 'Guernica' ou 'L'Ossuaire' réalisées respectivement à la suite du bombardement de la ville durant la guerre civile espagnole et à la libération de Paris, ainsi que son usage des coupures de journaux comme autant de plans et de surfaces à ses compositions cubistes témoignent de sa profonde relation avec l'histoire de ses contemporains, son rapport à la drôlerie, à la référence est incontournable. Pour lui qui déclare, jovial, dans une des seules interviews accordées à la télévision : "J'aime beaucoup les gens, je n'aurais pas les gens je crois que j'aimerais même un bouton de porte, un pot de chambre, n'importe quoi", le monde qui l'entoure est une source d'inspiration mais aussi d'émotions sourdes, cachées, qu'il est de son devoir de révéler. Son célèbre 'Coq' en est un exemple criant, et l'on voit dans ses traits toute la terrible et drôle bêtise de sa posture.

Une aptitude à digérer les influences qui ne surprend pas tant ses premiers pas dans la vie artistique se sont faits dans l'exercice de l'imitation, comme le rappelle Anne Baldassari, commissaire de l'exposition au Grand Palais : "Comme tous les peintres de l'avant-garde, il a une formation strictement académique (…). Il baigne donc dans un univers de représentation, de copie, de double." (1) A l'étude de ses gammes, le jeune artiste excelle, comprenant et restituant avec force la sensibilité de chacun des sujets qu'il traite. Une habitude qui l'aura finalement suivi toute sa vie, même si son oeuvre paraît à ce point novatrice qu'elle semble hors de tout.


Une impression plus que trompeuse qui ne peut donc occulter cette véritable force à l'origine de changement définitif de la pratique picturale dans le monde. "Après lui, confie Apollinaire, on peut peindre avec ce qu'on voudra, avec des pipes, des timbres-poste, des cartes postales ou à jouer, des candélabres, des morceaux de toile cirée, des faux cols, du papier peint, des journaux." Pour autant, Picasso ne se fond pas dans ces modèles qu'il admire. Picasso n'est pas un maître, il était partout, à la naissance de tout et ne s'est jamais fixé. Il est lui-même la figure du XXe siècle, de cette effervescence créatrice qui cherche constamment de nouvelles formes, une posture que décrit parfaitement Pierre Daix, grand ami et fin connaisseur du peintre : "Picasso ne s'est jamais enfermé dans les avant-gardes. Durant toute sa vie il s'est trouvé en porte-à-faux avec elles (…). Picasso, à partir de 1905-1906, obéit à ses propres raisons. Il est un homme de l'immédiateté qui veut se découvrir, gouverné par l'idée qu'il faut tout casser". (2)

EXPOSITION PICASSO ET LES MAITRES 1609_6

(1) Interview accordée au Journal des Arts, octobre 2008.
(2) Interview donné au
TDC, n.940, sept. 2007.
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